A Ishigaki, la construction d’une base militaire japonaise ravive les blessures de l’histoire

« Le deigo a fleuri, a appelé le vent mais la tempête est venue… » Shima uta, émouvante « chanson des îles » du groupe The Boom, résonne dans les ruelles écrasées de soleil et bordées de béton gris du vieux marché d’Ishigaki, petite île de l’archipel d’Okinawa, dans le sud-ouest du Japon.

Dans la culture locale, la flamboyance rouge de la fleur de deigo annonce la sévérité des typhons à venir. Sa floraison, dans la chanson de Kazufumi Miyazawa, symbolise « le sacrifice des îles d’Okinawa pour le reste du Japon ». Bataille d’Okinawa en avril-juin 1945, omniprésence militaire américaine, diktats de Tokyo : autant de moments sombres qui ressurgissent à l’occasion de la commémoration, le 15 mai, du 50e anniversaire de la rétrocession au Japon d’Okinawa par les Américains.

A Ishigaki, 50 000 habitants, rien n’indique l’anniversaire si ce n’est quelques devantures comme celle du magasin Hamauta, où est affiché un autocollant jaune et rouge saluant « le retour d’Okinawa ».

La municipalité n’a pas prévu de fête, tout juste une conférence en ligne. Officiellement à cause du coronavirus, officieusement parce que l’événement suscite des réactions mitigées, exacerbées par la construction d’une base de défense antimissile des Forces japonaises d’autodéfense (FJA, l’armée nippone).

Depuis 2020, les bulldozers labourent un verdoyant coteau niché dans l’ombre du mont Omoto, point culminant de l’île à 526 mètres, au-dessus des plantations de cannes à sucre et d’ananas. L’installation est jugée indispensable par le ministère de la défense, engagé depuis 2015 dans le renforcement des îles Nansei. Vu de Tokyo, ce chapelet s’étendant jusqu’à Yonaguni, à une centaine de kilomètres de Taïwan, forme « une barrière contre la Chine ».

Persistance des blessures du passé

Le gouvernement japonais redoute qu’un conflit autour de Taïwan amène la Chine à s’emparer des îles Senkaku/Diaoyu – dépendantes administrativement d’Ishigaki mais revendiquées par Pékin et Taipei – voire à menacer Okinawa. Il a déjà aménagé des bases sur les îles Miyako, Yonaguni et Amami.

Favorable à la venue des FJA, le maire d’Ishigaki, Yoshitaka Nakayama, a obtenu en février un quatrième mandat. Réputé proche des nationalistes du Parti libéral-démocrate au pouvoir, M. Nakayama prône une ligne ferme face à la Chine, n’hésitant pas à brandir la menace de « provocations ». Il a rejeté un projet de référendum sur la nouvelle base réclamé par les 14 000 signataires d’une pétition. « Les questions de défense nationale ne peuvent être tranchées par une simple municipalité », a-t-il balayé. Ishigaki abrite déjà le plus grand port des gardes-côtes nippons, occupés à la surveillance des Senkaku.

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Source : Le Monde.fr

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