L’écrivain japonais Kenzaburo Oé, Prix Nobel de littérature, est mort

Rarement un auteur fut plus viscéralement de son époque. Par sa carrière littéraire et par les combats qu’il mena, Kenzaburo Oé fut une incarnation de l’histoire intellectuelle du Japon de l’après-guerre dans ses espoirs comme ses désillusions. L’écrivain est mort « de vieillesse aux premières heures du 3 mars », a annoncé lundi 13 mars la maison d’édition Kodansha.

Il fut d’abord un homme fidèle. Fidèle en amitié et fidèle à lui-même : aux valeurs et aux idées (démocratie, pacifisme) sur lesquelles s’est refondé le Japon au lendemain de la défaite de 1945.

Lucide et discret, il resta un veilleur indigné et irrévérencieux à l’égard des « vérités » et du jour. Parfois, Don Quichotte émouvant par son entêtement à défendre des causes émoussées par l’air du temps, il était habité par un humanisme qui s’efforçait de neutraliser le venin de l’oubli. « La seule, la vraie question posée aujourd’hui comme hier à l’intellectuel est celle de la souffrance humaine », nous disait-il lors d’une de nos nombreuses rencontres. Sa profonde empathie pour les faibles, les victimes, les discriminés et les oubliés faisait de lui une voix dissonante, sinon dissidente, dans un Japon du consensus mou du tournant du siècle.

Il recevait toujours dans sa maison dans un quartier résidentiel à l’ouest de Tokyo. Pour accéder à son bureau, Il fallait se glisser dans un labyrinthe de bibliothèques, gravir un étroit escalier tapissé lui aussi de livres puis suivre un corridor exigu dont les parois l’étaient également pour arriver à un petit cabinet où, là encore, les rayonnages étaient chargés de livres bien alignés. Deux fauteuils et une table basse, un divan et un petit bureau : tout était parfaitement en ordre. Par la fenêtre, on voyait le cerisier du jardin de cette petite. Un espace de repli. Kenzaburo Oé travaillait le plus souvent au salon du rez-de-chaussée dont la baie ouvrait également sur le jardin. A ses côtés, son fils Hikari, handicapé mental, jouait du piano ou écoutait de la musique. Oé écrivait sur un pupitre placé sur ses genoux.

Lire l’entretien (2015) : Article réservé à nos abonnés Kenzaburô Oe : « L’âge n’apporte pas la sérénité »

Grosses lunettes rondes, chevelure blanche en broussaille, Oé, dont les photographies donnaient souvent une image mélancolique, était chaleureux et rieur. Merveilleux conteur, il parlait vite. La conversation progressait au fil de digressions, de retour en arrière, de lectures de passages d’un livre. Le lendemain, des précisions arrivaient par fax (il n’utilisait pas Internet) écrites à la main : des idéogrammes parfois difficiles à déchiffrer alternaient avec des mots anglais ou français.

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Source : Le Monde.fr

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