« Monsieur Tigre », figure populaire du cinéma nippon, à la Maison de la culture du Japon

Les films japonais portés aux nues, souvent à juste titre, à l’étranger ne sont pas toujours ceux qui connaissent le plus grand succès dans l’Archipel. C’est le cas de la série cinématographique Otoko wa tsuraiyo ! (C’est dur d’être un homme !) qui a tenu l’affiche un quart de siècle à partir de 1969, à raison de deux films par an – battant les records de longévité selon le Guinness Book. Boudée par la critique étrangère, elle a été vue par 60 millions de Japonais (soit un sur deux a regardé au moins un des cinquante épisodes).

De même que la France a eu ses personnages cinématographiques fétiches, de Don Camillo à Monsieur Hulot, le Japon a eu Tora-san (Monsieur Tigre). La mort, le 4 août 1996, du comédien Kiyoshi Atsumi qui l’incarna fut ressentie par beaucoup de Japonais comme la perte d’un ami qui les avait fait rire et ému. La série, drôle et émouvante, esquisse au fil des tribulations d’un truculent camelot une fresque des dernières décennies du XXsiècle marquées par l’exode rural, la destruction de l’environnement, l’isolement et la compétition, l’évolution de la situation des femmes… Elle est certes datée et peu paraître un peu niaise avec le recul du temps mais elle n’en dit pas moins beaucoup sur la mentalité du petit peuple japonais dans ses forces comme dans ses faiblesses – hier comme aujourd’hui.

Contrairement à bien des cinéastes de sa génération, tels que Shohei Imamura ou Nagisa Oshima qui dénoncèrent les aspects les plus sombres de la société comme ses tabous moraux et sexuels, Yoji Yamada (né en 1931) se situa sur un autre plan : sans dresser un panégyrique du Japon de l’expansion, il chercha à montrer avec sensibilité la vie de gens ordinaires. Il voulait leur tendre « un miroir dans lequel se regarder », écrit Claude Leblanc dans Le Japon vu par Yamada Yoji (Ilyfunet 2021), riche présentation de ce cinéaste méconnu en France, auteur de près de 90 films, dont certains couronnés par de multiples prix dans son pays qu’Akira Kurosawa considérait comme le plus talentueux de sa génération.

Prendre son époque à contre-pied

Le premier film de la série prenait son époque à contre-pied : sorti en salle en 1969, quelques mois après l’assaut par la police de l’auditorium Yasuda de l’université de Tokyo, où s’étaient retranchées plusieurs centaines d’étudiants contestataires, il succédait au Journal d’un voleur de Shinjuku de Nagisa Oshima, salué par la critique étrangère. Celle-ci ignora, en revanche, le film de Yamada y voyant tout au plus une apologie rétrograde de valeurs passéistes (communauté de voisinage, famille) dans la lignée des comédies sentimentales d’avant-guerre sans projet narratif original. Le public japonais, lui, plébiscita Tora-san. Un succès jamais démenti pendant deux décennies.

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Source : Le Monde.fr

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