Quand des objets design s’invitent chez des créateurs japonais

Ils sont styliste, décorateur ou encore photographe. Comme beaucoup de Japonais exerçant dans les métiers de la création, ils ont choisi Paris. Pour son art de vivre, mais aussi parce que les cultures français et nippone, aussi éloignées soient-elles, s’accordent à merveille. Comme le prouve le succès, ces dernières années, des chefs japonais à la tête de restaurants français. Dix de ces créateurs ont ouvert leurs portes à « M ». Des intérieurs où se sont introduits, le temps d’une séance photo, des objets du design contemporain. Photos Jonathan Frantini, réalisation Charlotte de La Grandière.

Chez Irié, styliste

A droite : chaise Curule pliable en noyer, lattes en noyer, et dossier en cuir souple, design Pierre Paulin, Ligne Roset. Petite table d’appoint Phantom Coffee Table, finition burn antique, en fonte d’aluminium, 101 Copenhagen. Soupière Baroque Tureen en plastique recyclé HDPE, design James Shaw, 107 Rivoli. Jonathan Frantini pour M Le magazine du Monde

Quelle n’est pas la surprise d’Irié quand il découvre, dans les années 1970, après un long voyage en Transsibérien, que Paris n’est pas en noir et blanc. Happé par « le rouge des cerises et le jaune des cendriers aux terrasses des cafés », Irié s’installe dans la capitale française pour travailler dans la mode. La ville satisfait le désir de culture et de beauté du créateur. Et son exil lui permet de redécouvrir le Japon comme un touriste. Un luxe… qui le ravit.

Chez Hisakawa Fumiya, consultant en marketing dans la mode

A droite : fauteuil Ortigia, structure et dossier en noyer canaletto massif, assise en tissu, Flexform. Table Grant, plateau en verre transparent effet wavy, et structure en métal, design Rodolfo Dordoni, Minotti chez Silvera. Coupelle en céramique, design Yellow Nose, Ailleurs Paris. Sur le trépied, lampe de bureau, coloris rouge japonais, en tôle d’acier finition époxy, design Jean Prouvé, Vitra. Jonathan Frantini pour M Le magazine du Monde

Ses amis l’appellent « Fumiya-ya », en référence à izakaya, le « troquet », en japonais. Hisakawa sait recevoir comme personne, assurent-ils, bien qu’il ne cuisine pas aussi bien qu’il le souhaiterait les plats traditionnels de son pays d’origine. Il faut dire que ce consultant en marketing de la mode a passé plus de temps à Paris, où il vit depuis treize ans, qu’au Japon. S’il sait bien que la Ville Lumière filmée par Woody Allen dans Midnight in Paris est un beau fantasme, il espère toujours qu’« une voiture des Années folles [le] ramène dans le Paris jazzy de 1920 ».

Chez Maori Murota, cuisinière et illustratrice

A droite : table Kilt en teck, design Marcello Ziliani, Ethimo. Sur la table, plat Gobi Reactive, en céramique vernie, The Conran Shop. Couteau avec manche en buis et lame en acier carbone, design Pallares Solsona Catalogne, La Maison de commerce. Coupelles en céramique, Jars chez Merci. Pot à bec japonais en céramique, design Nobue Ibaraki, Ailleurs Paris. Jonathan Frantini pour M Le magazine du Monde

Maori Murota ne se sent « ni totalement japonaise ni totalement française ». Partie à 17 ans du Japon, elle a vécu à Bali et à New York avant de s’établir à Paris. Elle y donne désormais des cours de cuisine japonaise – la gastronomie étant, selon elle, le seul moyen d’obtenir la confiance d’un Français. Et, puisqu’une vie ne suffit pas, Maori Murota est également illustratrice et raconte son expérience de la France aux Japonais par le dessin.

Chez Tsutomu Hirano, créateur

A droite : banquette Bull, finition structure en chêne brossé, coussins en laine grise, design Naoto Fukasawa, B&B Italia. Sur la table, lampe Noctambule, en acier, aluminium et verre soufflé, design Konstantin Grcic, Flos. Plateau en bois laqué bleu, théière en résine et cafetière en résine et métal, Armani Casa. Chaise 051 Capitol Complex Office Chair, structure en teck, dossier et assise en paille de Vienne, coussin en velours, Cassina. Jonathan Frantini pour M Le magazine du Monde

Tout commence par un jeans, couleur « Nandro-Iro », inspirée de l’indigo des kimonos patinés par le temps. Le directeur de la marque 45R Paris, créée en 2003, s’est lancé un défi : rassembler les cultures française et japonaise.

Chez Madoka Rindal, céramiste

A droite : table Smalto en acier avec finition en émail de porcelaine, design Barber & Osgerby, Knoll. Plats et coupes emboîtables Glenn Sestig en céramique et bois, design Glenn Sestig, Valerie Objects. Coupelles en grès, réalisées à la main, Madoka Rindal. Jonathan Frantini pour M Le magazine du Monde

Enfant, elle suivit ses deux premières années d’école primaire à Paris, avant de repartir vivre à Tokyo. Un souvenir, entretenu par une mère francophile, qui l’habitera au point de la faire revenir dans la capitale française pour y suivre des études d’arts appliqués. Depuis, elle ne l’a plus quittée. D’abord graphiste, Madoka Rindal s’est prise de passion pour la céramique. Un retour à la terre nécessaire, qui, pour elle, s’est révélé un moyen d’expression primitif.

Chez Kenji Tsutsumi, décorateur floral

A droite : banc Jane, piètement en orme et assise en tissu, design Emmanuel Gallina, Poliform chez Silvera. Vase Osaka Dark Grey en céramique, réalisé à la main, 101 Copenhagen. Jonathan Frantini pour M Le magazine du Monde

Il aura fallu à Kenji Tsutsumi un passage à New York pour se rapprocher du Japon. Là-bas, collègues, amis ou curieux croisés au détour d’un bar l’interrogent sur la culture de son pays. Il comprend alors qu’il ne la connaît pas. Il plie bagages et retourne au Japon pour apprendre l’ikebana, l’art floral traditionnel japonais. C’est à Paris qu’il exerce aujourd’hui son art au service de grandes tables.

Chez Nathalie Ifrah, entrepreneuse

A droite : lampe à poser Coulisse, structure en bambou, écran en papier japonais, cercle de liaison en acier cuivré, LED avec variateur, création Tomás Alonso, Hermès. Set Sashi, composé de 3 coupes à saké en porcelaine fabriquées par les artisans de la préfecture de Saga, au Japon, et pichet Sura, en porcelaine, design Ryota Aoki, Shopu. Jonathan Frantini pour M Le magazine du Monde

S’installer à une terrasse de café, regarder les amoureux se disputer, puis s’aimer de nouveau… Ces petites scènes du quotidien rendent Nathalie Ifrah, Franco-Japonaise vivant à Paris depuis 2000, profondément heureuse. À la tête d’une boutique en ligne, Shopu, elle sélectionne des objets « naturels, sincères et sûrs » – en somme, « simplement beaux » – venus du Japon. Une passion qu’elle tient de son grand-père, qui lui a appris à apprécier « la beauté et les imperfections » des objets usuels.

Chez Satoshi Saïkusa, photographe

A droite : fauteuil Parigi, en aluminium extrudé peint avec de la poudre époxy, structure en métal, design Aldo Rossi, Mloteni chez Unifor. Vase Offset en béton fibré, 101 Copenhagen. Jonathan Frantini pour M Le magazine du Monde

Entre la France et Satoshi Saïkusa, tout commence par une question loufoque : les Français boivent-ils réellement leur café dans un bol, comme on peut le voir dans les films ? Il se met en tête de vérifier cette assertion lors d’un voyage touristique, mais la beauté de Paris, la qualité de la cuisine et du vin le retiendront sur place. En 2010, ce photographe de formation crée, avec sa femme, la galerie d’art Da-End, à Saint-Germain-des-Prés. Un lieu ténébreux, « à mi-chemin entre le cabinet de curiosités et quelque demeure secrète », dans lequel ils mettent en lumière des œuvres parfois subversives, jamais classiques.

Chez Yoko Ishii, ancien mannequin

A droite : Structure Light With a Table, composée d’un tube en métal courbé avec une source lumineuse, design Keiji Takeuchi, Living Divani. Assiette Dé, en porcelaine avec motifs peints à la main, Ann Demeulemeester, Serax. Tabouret Dom, structure et assise en chêne massif teinté, design Marco Zanuso Jr, Coedition. Jonathan Frantini pour M Le magazine du Monde

La rumeur court que certains viendraient du Japon à Paris rien que pour voir « la Japonaise la plus chic de Paris ». À 76 ans, Yoko Ishii, ex-mannequin surnommée « Nami », fait toujours son petit effet. Au Café Kitsuné du Palais-Royal, où elle officie en tant que « serveuse-mascotte » – son gendre n’est autre que Gildas Loaëc, cocréateur de la marque Kitsuné –, les clients la connaissent bien. Ses enfants et petits-enfants vivant à Tokyo, elle y retourne de temps en temps et aime partager ses pérégrinations sur Instagram.

Chez Shinsuke Kawahara, designer

A droite : vase en verre soufflé avec bord jaune, design Jochen Holz, à Rebours chez Lafayette Ancipations. Vase cube, coloris ambre, exclusivité, The Conran Shop. Jonathan Frantini pour M Le magazine du Monde

Un « artiste-gamin » qui touche à tout : voilà comment présenter Shinsuke Kawahara. Après avoir étudié les beaux-arts à Tokyo, le plasticien se spécialise dans le design et travaille en France, aux États-Unis et au Japon. Shinsuke fait partie de ces gens qui aiment tant leur métier que prendre des vacances les ennuient. Il ressent cependant souvent le besoin de retrouver son Japon, où il apprécie de se sentir comme un étranger. Mais pour rien au monde il ne quitterait Paris. Les « rues sales » de la capitale, les « nombreuses manifs » et le « manque de discipline » n’entachent en rien la passion, presque amoureuse, que lui voue l’artiste.

Source : Le Monde.fr

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