A Kyoto, Alberto Korda dans tous ses états

Une exposition rend hommage au photographe cubain, auteur du plus célèbre portrait de Che Guevara.

Par Michel Guerrin Publié le 06 mai 2019 à 01h04 – Mis à jour le 06 mai 2019 à 10h08

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Norka. Brisas del Mar, La Havane, 1960.
Norka. Brisas del Mar, La Havane, 1960. ALBERTO KORDA

Le photographe cubain Alberto Korda est un cas unique. Dans une première vie, au milieu des années 1950, il est une figure de la mode à La Havane. A la révolution, en 1959, il devient pendant dix ans le chroniqueur du castrisme, réalisant de Che Guevara le portrait iconique que tant de jeunes ont punaisé dans leur chambre. En 1968, son studio est brutalement fermé par le régime. Mais il ne renie pas la révolution. Il se réfugie dans la photo sous-marine. Quand il meurt à Paris, en 2001, à l’âge de 72 ans, Fidel Castro, qui assistera à ses funérailles à La Havane, demande : « Comment est-il mort vraiment ? » D’une crise cardiaque, pendant la sieste, dans une chambre d’hôtel. Le dictateur réagit : « Ça, c’est du Korda. »

Ce photographe, qui passe avec une fluidité désarmante de la mode à la révolution, du capitalisme luxueux au communisme en treillis, fait l’objet d’une exposition dans le cadre du 7festival Kyotographie, à Kyoto (quinze expositions, un off, des événements). Elle a été présentée dans de nombreux pays, mais pas en France. Ce que l’on voit au Japon, ce n’est pas tout Korda, loin de là, mais le sujet qui fait la jonction entre ses deux vies : les femmes et leur beauté. D’un côté, les mannequins qui défilent dans son studio, de l’autre, de jeunes miliciennes qui défilent dans la rue, portant uniforme et fusil. Tout les oppose et tout les rapproche.

Reprenons. En 1954, La Havane est une capitale de la modernité. Les boutiques de mode sont nombreuses, les créateurs talentueux. Korda ouvre cette année-là un studio de prise de vue, d’abord dans le centre historique, puis dans le quartier moderne de Vedado, avec ses grandes avenues, hôtels, boutiques de luxe, tours, casinos et studios de télévision. Cet univers consumériste colle au sien. Ses clients sont des marques diverses qui publient ses images sous forme de publicité dans la presse et des mannequins ou actrices en herbe qui ont besoin de se faire une réputation.

Regard inédit sur la femme

Le succès de Korda tient au regard inédit qu’il porte sur la femme. Elle était brune ou métissée, sensuelle et sexuelle, avec grosse poitrine et formes avantageuses. Elle est chez lui blonde, indépendante, spirituelle, existe par elle-même. D’une femme-objet, il fait une femme-sujet. Il s’intéresse plus à sa personnalité qu’aux vêtements. Il la fait sortir du studio afin d’imposer sa vitalité dans l’espace public. Natalia Mendez, alias Norka, est une inconnue timide quand elle se rend aux studios Korda en 1956. Elle s’impose, par l’insolence qu’elle dégage, comme le modèle de Cuba. Lui devient le photographe de Cuba. Le couple qu’ils forment irradie la ville. Disons-le, la frontière est poreuse entre le photographe et l’amant de ses modèles. « Il était un amoureux éthique », dit Cristina Vives, la commissaire de l’exposition.

Source : Le Monde.fr

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