Une salle de Pachinko (billard électrique nippon) fréquentée malgré l’état d’urgence sanitaire, à Tokyo, le 22 avril.
Une salle de Pachinko (billard électrique nippon) fréquentée malgré l’état d’urgence sanitaire, à Tokyo, le 22 avril. ISSEI KATO / REUTERS

Lettre de Tokyo

L’affaire s’annonçait comme un scandale politique. Elle a fini comme un pétard mouillé. A la mi-mai, un mouvement de protestation sur les réseaux sociaux, relayé par les grands médias, avait mobilisé l’opposition contre un projet d’amendement législatif visant à reporter à 65 ans l’âge de la retraite des procureurs − une manœuvre qui avait pour but de maintenir à son poste un homme lige du premier ministre, le procureur général de Tokyo, Hiromu Kurokawa, et permettre ainsi à celui-ci de briguer les fonctions de procureur général.

La levée de boucliers contre une atteinte à l’indépendance de la magistrature fut telle qu’une semaine plus tard, le gouvernement avait dû piteusement faire marche arrière et retirer son projet. Contrit, le premier ministre, Shinzo Abe, fit valoir qu’il voulait « tirer le meilleur parti des compétences et de l’expérience de ces hauts fonctionnaires dans des affaires de plus en plus complexes ». Compétences dont il attendait, apparemment, dans le cas de son protégé, qu’elles permettent de bloquer des enquêtes sur des affaires de favoritisme le concernant. Au Japon, les procureurs détiennent un pouvoir quasi discrétionnaire.

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Contraint de démissionner

Quelques jours plus tard, M. Kurokawa était contraint de démissionner à la suite d’une révélation du magazine à scandale Shukan Bunshun. Il dut reconnaître qu’il avait joué de l’argent au cours de parties de mah-jong − ce jeu de société qui se joue à quatre joueurs − avec deux journalistes, enfreignant non seulement les consignes de distanciation sociale pendant l’état d’urgence, en vigueur alors, et surtout la législation interdisant les jeux d’argent.

Dans un pays où, l’héritage de l’éthique néoconfucéenne fait de la vertu une qualité attendue de bureaucrates qui se devraient de donner l’exemple, les parties de mah-jong du procureur avec des journalistes font tâche − même si l’opinion est désormais sans illusion. Elles laissent en outre planer des doutes sur l’impartialité des journalistes suivant les affaires de justice. Procureurs et journalistes ont des relations étroites et les seconds se font souvent le relais de « fuites » souhaitées par le parquet.

Dans l’affaire des parties de mah-jong avec des mises en argent, on peut faire avoir à la décharge des intéressés qu’ils ne sont pas les seuls à jouer : des dizaines de millions de Japonais font de même. En toute légalité, ils parient sur des courses de chevaux, de vélos, de hors-bord, des matchs de football et sont également des fervents des loteries. Mais ils jouent aussi de l’argent, aux cartes, aux dés, au mah-jong − ce qui est interdit en vertu de l’article 23 du code pénal de 1907. Les contrevenants encourant une amende et une peine de prison, rarement prononcée, en cas de récidive.

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Source : Le Monde.fr

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