Des moines bouddhistes utilisent des équipements de sport sur le bord d’une route surplombant Thimphou, la capitale du Bhoutan, le 16 juin 2015. Des moines bouddhistes utilisent des équipements de sport sur le bord d’une route surplombant Thimphou, la capitale du Bhoutan, le 16 juin 2015.

Le Français Clément Sans est récemment devenu moine zen, ordonné sous le nom de Tozan (« la montagne du pêcher »). Chaque mois, il nous envoie une lettre qui nous fait partager ses réflexions et son quotidien singulier, presque hors du temps. Après deux ans passés au temple Antai-ji, dans les montagnes de l’île Honshu, il poursuit désormais sa pratique à Kyoto, l’ancienne capitale impériale du Japon.

Lettre de février. Nous sommes devant la modeste porte du Daitsu-in, petit pavillon discret situé dans l’immense enceinte du Shokoku-ji. Il s’agit de l’un des complexes bouddhiques de Kyoto permettant aux laïcs de méditer et d’étudier les textes classiques de la tradition zen.

Accompagnant un visiteur français curieux de comprendre l’histoire du bouddhisme nippon, me voilà à expliquer les différentes techniques ascétiques censées guider le pratiquant vers l’éveil, comment croiser les jambes et se prosterner face aux différentes statues ou comment déambuler dans le temple et effectuer les rituels. Face à moi, mon interlocuteur, tétraplégique, assis dans un imposant fauteuil électrique, m’écoute sagement avant de m’interrompre : « Oui, mais moi, alors, comment je fais ? »

Utiliser son corps

Le bouddhisme est souvent présenté comme une religion empathique, inclusive. Son message universaliste dépasse même le cadre strictement humain pour embrasser tous les êtres sensibles, dont la nature profonde ne diffère fondamentalement pas du Bouddha. La pratique permet au novice de s’éveiller à lui-même, de se rendre compte de ses propres limites dans la quête d’une vie sans souffrance et des illusions enfermant l’existence humaine dans l’interminable roue des « transmigrations ».

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Mais au-delà des métaphores sur l’« abandon du corps et de l’esprit », que répondre à celui qui ne peut littéralement pas croiser les jambes sur un coussin à cause d’un handicap ? Que dire à l’aveugle face à des textes l’invitant à « voir » la réalité ? Par un recours systématique à l’ascèse physique, le bouddhisme ne réserve-t-il pas ses trésors à la part limitée des êtres en bonne santé ?

Avant de commencer mon noviciat, lors de mon entrée au temple, il ne me fut demandé que deux choses : parler le japonais et avoir de bonnes aptitudes physiques. Quiconque veut pratiquer le zen en tant que moine dans un temple au Japon devra utiliser son corps. Traditionnellement, le bouddhisme établit même une typologie des maux bloquant l’accès à l’éveil, le plus lourd des handicaps étant peut-être la surdité, empêchant d’entendre la Loi prêchée, suivi de la cécité, rendant impossible la lecture des écritures et les pratiques de vénération.

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Source : Le Monde.fr

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