Le maître zen Kodo Sawaki en zazen, 1920. Il porte le kesa par-dessus le kolomo. Antai-ji (Hyogo, Japon) archives.

Le 15 septembre 2021, Clément Sans est devenu moine zen. Ordonné sous le nom de Tozan (« la montagne des pêches »), le jeune Français est désormais rattaché à un temple au Japon. Chaque mois, il nous envoie une lettre qui nous fait partager son quotidien singulier et presque hors du temps, rythmé par les longues heures de méditation, les travaux des champs et la lecture des textes sacrés.

Lettre d’avril 2022. Après de longs mois à flotter sur une épaisse dentelle de neige, notre temple sort calmement de son hibernation. Dans la lumière filtrée par un brouillard timide, les montagnes de la province de Hyogo semblent respirer à nouveau, les cerisiers sont déjà gonflés de fleurs et l’on peut à nouveau entendre le bruit de l’ours qui perce l’horizon. Le poêle à bois a été rangé dans la vieille remise, les murs nous protégeant des chutes de neige ont été démontés, tous les membres de la communauté s’apprêtent à sortir de l’hiver comme on s’extrait d’un monde souterrain et secret, emplis d’une vigueur venue des longues méditations glaciales.

Le froid a laissé derrière lui une épaisse couverture de branches et de bois mort qu’il nous faut collecter pour dégager la route, permettant au postier sa visite hebdomadaire. Il ne nous reste que quelques jours pour préparer la reprise des activités agricoles du temple. Des feuilles mortes et autres composts ont été dispersés dans la rizière que nous devons préparer, les courtes saisons des montagnes japonaises imposant de semer au plus tôt les graines de yamahoshi, la variété ancienne de riz rustique que nous faisons pousser. Bientôt, les chingensai, komatsuna et autres légumes prendront vie dans le potager. Avec l’éclosion du printemps, cinq nouveaux aspirants moines nous ont rejoints, tous prêts à entrer dans la Voie du Bouddha avec la foi au cœur.

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Nous profitons des derniers jours de froid pour coudre et entretenir nos vêtements monastiques. Cette robe que nous portons chaque jour est pour nous bien plus qu’un simple habit servant à signifier le statut monastique. Vêtement emblématique venu d’Inde, porté par tous les patriarches jusqu’au Bouddha lui-même, le kesa, terme japonais provenant d’une translittération chinoise du sanskrit, signifie d’abord une couleur trouble, cassée, traditionnellement ocre. Ce vêtement sacré et dépositaire de la foi représente, pour reprendre le mot du maître zen japonais Kodo Sawaki (1880-1965), « ce qui n’est pas clair », un objet indéfinissable et flou, à l’image du moine que l’on compare souvent à un nuage s’évanouissant dans le grand paysage.

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Source : Le Monde.fr

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