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Publié le 23 juillet 2021 à 18h00 – Mis à jour le 03 août 2021 à 02h58

Les lourds bâtiments de la faculté de médecine de l’université de Kyoto imposent leur austérité dans le soir tombant sur l’ancienne capitale japonaise. En face, derrière une rangée d’arbres, des panneaux de bois couverts d’appels en japonais et en russe à manifester ou à briser ses chaînes, rappelant les dazibaos de la Révolution culturelle chinoise, encadrent l’entrée du dortoir Yoshida.

Construit en 1913, ce bâtiment de bois sombre se dresse au bout d’une allée envahie par la végétation. A l’intérieur règne un capharnaüm de livres, cartons, fauteuils fatigués. Les murs sont couverts d’affiches, dont certaines des années 1970 contre la guerre du Vietnam. Des vitres sont cassées.

Le dortoir Yoshida est menacé de destruction par la prestigieuse université, propriétaire du site, qui n’y voit qu’un îlot d’insalubrité. Un procès est en cours mais ses 150 occupants, appuyés par des enseignants et d’anciens étudiants, font tout pour préserver le dernier dortoir universitaire autogéré du Japon, apolitique et fier de son idéal de liberté totale, promu depuis les années 1960.

« Ici, on peut tout dire et tout écrire », apprécie Sho Sasaki, étudiant en sociologie qui, dès le lycée, voulait y venir, tandis que d’autres, comme Ryosuke Hanzawa, étudiant en ingénierie agricole, l’ont découvert à la lecture de Yojohan Shinwa Taikei (Les Chroniques mythiques sur quatre tatamis et demi, Kadokawa, 2004) roman de Tomihiko Morimi adapté en série animée. Dans cet ouvrage, l’auteur, ancien de l’université, fait du dortoir un lieu mythique. « Il m’a convaincu de m’y installer. »

Dortoir Yoshida de l’université de Kyoto, le 11 juillet 2021. A gauche, détali de la fenêtre de la salle commune; à droite, Sho Sasaki, Ryosuke Hanzawa et leurs amis devant l’entrée principale du dortoir. Dortoir Yoshida de l’université de Kyoto, le 11 juillet 2021. A gauche, détali de la fenêtre de la salle commune; à droite, Sho Sasaki, Ryosuke Hanzawa et leurs amis devant l’entrée principale du dortoir.

Un tel mouvement reste rare au Japon. Selon la sociologue Kyoko Tominaga de l’université Ritsumeikan à Kyoto, la motivation des jeunes Japonais pour manifester est désormais la plus faible parmi les démocraties à travers le monde. La clameur assourdie des affrontements violents des étudiants avec la police antiémeute des années 1960-1970 est perçue comme radicale et inefficace : à peine 10 % de la jeune génération ont une image positive de cette période, estime-t-elle.

« Le sentiment d’être négligés »

La nouvelle génération a grandi dans un pays en déflation à la suite de l’éclatement en 1991 de la « bulle spéculative ». Après la frénésie consumériste d’une époque de tous les excès : des sushis avec une paillette d’or aux boîtes de nuit où des milliers de filles en look bodycon (contraction de body conscious, robe ultramoulante et ultra­courte) dansaient des nuits entières chevelure déployée, l’Archipel brutalisé par la mondialisation n’a plus jamais connu les flambées contestataires des aînés ni leurs extravagances. En revanche, le Japon voit se creuser le fossé générationnel. « Pour les politiciens, la priorité va aux personnes âgées », déplore Yuma Kato, étudiant de l’université Taisho, qui critique ses aînés « s’accrochant au pouvoir ».

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Source : Le Monde.fr

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