Livre. « Une histoire dans l’Histoire » : c’est ainsi que Claude Leblanc, fin connaisseur du Japon, qualifie son projet. Dans La Révolution Garo, 1945-2002 (IMHO, 300 pages, 24 euros), il retrace la naissance du mythique mensuel de manga Garo, tout en dévoilant un aspect peu connu de la contre-culture de l’époque.

Le magazine fut partie prenante de l’effervescence, à la fois contestataire et créative, de cette époque en contribuant à donner au manga sa forme moderne des points de vue graphique et narratif. En se faisant l’écho des mutations sociales, des questionnements, des injustices et des attentes que voilait l’expansion économique – dont le symbole sera les Jeux olympiques de Tokyo, en octobre 1964 –, Garo refléta le bouillonnement social et culturel de l’époque.

Garo n’aurait probablement pas vu le jour s’il n’avait été précédé, en 1947, par La Nouvelle Ile au trésor, d’Osamu Tezuka (1928-1989), surnommé le « dieu du manga » moderne. Le magazine s’imposa sur un créneau différent en cherchant à susciter la réflexion. Ouvrant de nouveaux horizons graphiques, il favorisa l’éclosion d’une génération d’auteurs dénonçant les dérives, les noirceurs et les risques du développement effréné du Japon.

Au départ, Garo était une publication destinée aux enfants. Ses créateurs, le dessinateur Sanpei Shirato et l’éditeur Katsuichi Nagai, tous deux ancrés à gauche, voulaient en faire un « junior magazine » qui ne traite pas seulement de ninjas, d’animaux ou de monstres, mais qui devienne un instrument d’explication de la dure réalité de la vie, diffusé en partie dans les librairies de prêt. Ses dessinateurs, à commencer par Sanpei Shirato, étaient auparavant des illustrateurs des récits des conteurs qui plantaient leur tréteau de kamishibaï (« théâtre de papier ») au coin des rues.

Radicalité

Rapidement, l’audience de Garo s’élargit aux adolescents et aux étudiants engagés dans une violente confrontation de rue avec les forces de l’ordre : l’agitation sur les campus se conjuguait à une virulente opposition à la guerre au Vietnam. Et Garo se radicalisa. En même temps, il élargit le spectre de ses collaborateurs, donnant leur chance à de nouveaux talents qui allaient devenir des mangakas de premier plan.

Garo refléta la contestation, mais aussi l’amertume de voir disparaître des valeurs telles que l’entraide, emportée par la brutalité d’une croissance économique aveugle. Ainsi, dans Histoires singulières du quartier de Terajima (1968), le dessinateur Yu Takita raconte son enfance dans ce quartier populaire de Tokyo. Sort simultanément la série cinématographique Otoko wa tsurai yo (« c’est dur d’être un homme ») du réalisateur Yoji Yamada, plébiscitée pendant plus d’un quart de siècle par le grand public, avec pour personnage central Tora-san, héros des faubourgs haut en couleur. Claude Leblanc a consacré à cette autre « histoire dans l’Histoire » un livre imposant, remarquablement documenté et illustré, Le Japon vu par Yamada Yôji (llyfunet, 2021).

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Source : Le Monde.fr

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