L’artiste japonaise Aya Takano dans son atelier. L’artiste japonaise Aya Takano dans son atelier.

Deux jeunes filles alanguies devant un frigo ouvert, cigarette à la main, surplombent les jambes d’un homme inerte sur le sol d’une cuisine. Des jeunes gens conduisent une voiture rose sans toit en lisant un texte hindouiste les cheveux au vent en bord de mer. Une femme-enfant rêveuse est portée et caressée par la houle, l’écume et les poissons… Qu’ils soient dans l’intimité, au milieu d’une mégalopole ou sur la Lune, on ne saurait dire si les personnages d’Aya Takano – des adolescentes longilignes, dénudées et aux grands yeux − sont kawaii (« mignon » en japonais) ou neurasthéniques, superficiels ou pleins de sagesse. La rétrospective que le Musée d’art contemporain de Lyon consacre à l’artiste japonaise est l’occasion d’observer son travail avec du recul, puisqu’elle couvre plus de vingt ans de création.

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Diplômée des Beaux-Arts de Tokyo, Aya Takano, 46 ans, a d’abord travaillé comme dessinatrice chez Nintendo avant d’entrer à Kaikai Kiki (« mystérieux et attirant » en japonais), la société de production de Takashi Murakami, qui est aussi un collectif d’artistes, dont, à sa manière singulière, elle porte pleinement l’esthétique « superflat » (superplat), bidimensionnelle, sans effets de lumière.

Enfant, elle est fascinée par les romans de science-fiction et les mangas, des lectures lui donnent très tôt le goût de brouiller les repères entre la fiction et la réalité pour des échappées fantasmagoriques. C’est cette extase particulière, « au-delà des contraintes du langage et de la théorie », qui nourrit sa peinture à la ligne claire, par ailleurs imprégnée de la tradition des estampes érotiques japonaises.

Des baisers légers comme le vent

On lui fait remarquer que les adolescentes qui peuplent son univers paraissent paradoxalement sans âge : « Quand je peins des femmes, je peins en fait l’esprit d’êtres libres qui habitent en chacun de nous, femmes ou hommes, de tous âges », confirme-t-elle. Et partout, l’accent est mis sur la légèreté : « Avant, j’avais déjà envie de voir tout ce qui est positif dans la vie, l’amour, ce qui est plaisant, plutôt que les inquiétudes ou la tristesse. J’ai toujours voulu montrer un monde où les êtres humains, les animaux, la flore, mais aussi les choses, même les sacs, peuvent être joyeux ! C’est une constante, mais c’est devenu plus clair maintenant », résume-t-elle.

« Alighting on the Land of Convenience Store » (2014), d’Aya Takano. « Alighting on the Land of Convenience Store » (2014), d’Aya Takano.

« Maintenant » veut dire depuis la catastrophe de Fukushima. Le choc meurtrier et écologique du tsunami a eu un impact radical sur sa vie comme sur son travail. Avant, Aya Takano dépeignait surtout une vie citadine et la culture de consommation. Depuis 2011, l’artiste, devenue végétarienne, a déménagé près de l’océan, jardine et s’est initiée au zen et à la philosophie indienne. Elle a délaissé la peinture acrylique pour la peinture à l’huile, sa palette s’est élargie, ses scènes, souvent nocturnes, sont plus solaires. Renouant avec des traditions ancestrales, ses toiles sont devenues plus poétiques et mystiques, voire « kawaiio-chamaniques ».

L’avant-après Fukushima est matérialisé dans l’exposition par un grand rideau peint. D’un côté, la partie rétrospective, tamisée, se présente sous la forme de quatre architectures en forme de boîtes Polly Pocket, ces maisons de poupée miniatures des années 2000 qui s’ouvrent comme un poudrier. Chacun de ces écrins pop contient une facette de son univers, autour des thèmes de l’enfance (on y découvre des autoportraits de jeunesse à la facture classique et des scènes déjà très atmosphériques), de la science-fiction (avec notamment ses trois romans graphiques), de la ville (où il est beaucoup question de chaleur et de nourriture) et de l’amour, avec des baisers légers comme le vent.

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De l’autre côté du rideau s’ouvre un espace aérien et lumineux, qui présente les œuvres les plus récentes de l’artiste entre une plage post-tsunami et une mer de moquette bleue parsemée de rochers-coussins pour se poser face à des déités cosmiques et impassibles en symbiose avec des renards, des pélicans ou des tortues, chevauchant des autruches ou des vaches blanches, les bras pleins de chats et de chiens. Autant d’échappées belles néoanimistes conjurant la gravité du monde.

« Ma peinture est une prière pour montrer qu’il existe un autre possible », dit l’artiste. Son univers sentimental et pulsionnel, hors de toute vision binaire ou moraliste, est un nectar faussement naïf, pleinement onirique, qui réjouira les fans de l’artiste.

« Aya Takano, Nouvelle mythologie », au Musée d’art contemporain de Lyon, Cité internationale. Jusqu’au 7 janvier.

Source : Le Monde.fr

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