L’une des 1 600 cellules individuelles de la prison de Kosuge, au sol recouvert de tatamis, ne dépassant pas 7,5 mètres carrés, réputées mal chauffées l’hiver.
L’une des 1 600 cellules individuelles de la prison de Kosuge, au sol recouvert de tatamis, ne dépassant pas 7,5 mètres carrés, réputées mal chauffées l’hiver. Karyn Nishimura/AFP

Depuis le 19 novembre 2018, quelque chose a changé à la maison d’arrêt de Tokyo. L’incarcération de Carlos Ghosn – libéré sous caution depuis le 25 avril –, a mis en lumière ce lieu de détention communément appelé « prison de Kosuge », du nom du quartier où il se dresse, massif et gris. Ce jour-là, peu imaginaient que le futur ex-président de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi y resterait, sur deux périodes, près de 110 jours, alimentant la chronique d’une affaire franco-japonaise qui pourrait, au moins officieusement, occuper une partie des discussions du président Macron pendant sa visite officielle au Japon, les 26 et 27 juin.

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Bâtie dans l’arrondissement de Katsushika, dans le nord-est de Tokyo, la plus grande prison du Japon, refaite à neuf par étapes entre 1996 et 2012, impose depuis 1971 son austère silhouette à un quartier autrefois dominé par la petite industrie, aujourd’hui pauvre et délaissé, loin du luxe des quartiers de Ginza ou d’Omotesando. Avec l’incarcération de Carlos Ghosn, elle est devenue malgré elle le symbole des excès, réels ou fantasmés, d’une justice nippone baptisée « justice de l’otage » pour sa tendance à garder en détention les suspects, jusqu’à ce qu’ils avouent.

Une précision toute carcérale

Or, Kyoto doit accueillir, en avril 2020, la 14e convention de l’ONU sur la justice criminelle. Soucieux d’améliorer son image, le ministère de la justice (MDJ) avait réuni, en mars, la presse pour « approfondir la compréhension du système judiciaire japonais et les activités à l’international du MDJ », qui veut « développer à l’étranger des valeurs comme le respect du droit ». Le 10 juin, il planifiait une visite de la prison pour la presse étrangère, une offre relayée par le ministère des affaires étrangères notamment auprès des médias français. Le jour dit, sous une pluie battante, une quinzaine de journalistes se sont retrouvés à la gare de Kosuge. Précision toute carcérale : rendez-vous à 13 h 10, retard interdit sous peine de rester à la porte.

Après avoir passé l’accueil orné d’une œuvre symbolisant l’immensité de l’univers, invitant à réfléchir aux limites de la condition humaine et à s’interroger sur la manière de favoriser « une société pacifiée », le groupe a suivi une présentation. « Ici, nous cherchons à trouver un équilibre. Les conditions de détention doivent être plus dures que la vie à l’extérieur, pour faciliter la réinsertion et éviter la récidive », a confié Shigeru Takenaka, le directeur du lieu. Celui-ci s’est prêté au jeu des questions, aidé en cela de ses adjoints et de plusieurs représentants du ministère. Il a expliqué les règles du lieu, du réveil, à 7 heures, à l’extinction des feux, à 21 heures. Et a insisté sur les repas, « composés avec des nutritionnistes pour répondre aux besoins des détenus ». Au menu, en général : un poisson grillé, une soupe de légumes et un bol de riz et d’orge. Léger. Carlos Ghosn a perdu 9 kilos.

La visite de cette prison à la propreté irréprochable est apparue savamment planifiée. Les gardiens savaient quelles zones bloquer, quel étage choisir quand le groupe embarquait dans un ascenseur, quelle porte fermer. Les visiteurs ont ainsi pu découvrir l’une des 1 600 cellules individuelles, au sol recouvert de tatamis, ne dépassant pas 7,5 mètres carrés, réputées mal chauffées l’hiver, selon les témoignages d’anciens prisonniers, ou celles, plus rares, de 11 mètres carrés, avec lit à l’occidental, auxquelles Carlos Ghosn a eu finalement accès.

« En dehors des interrogatoires pendant la garde à vue, il n’y a rien à faire. On reste des heures assis dans la cellule. Mon conseil : quand on arrive, acheter tout de suite de quoi écrire. » Un ancien détenu

Ce fut aussi l’occasion de constater que les détenus n’ont aucune possibilité d’apercevoir le paysage. La cellule n’a pas de barreaux, mais son unique fenêtre donne sur un chemin de ronde fermé par une paroi en béton. Les promenades quotidiennes ne sont organisées que les jours ouvrés. « Quand il y a des vacances, on peut rester quatre ou cinq jours sans sortir. c’est éprouvant », raconte un ancien détenu, étranger, qui y a passé sept mois pour n’être condamné qu’à une peine avec sursis. « En dehors des interrogatoires pendant la garde à vue, il n’y a rien à faire. On reste des heures assis dans la cellule. Mon conseil : quand on arrive, acheter tout de suite de quoi écrire. Ça occupe. » Il y a une boutique à l’entrée de la prison.

Impossible, en revanche, d’apercevoir l’un des 1 758 détenus (sur 3 010 places disponibles), dont 146 femmes, issus de 37 nationalités – parmi les étrangers : 29,7 % de Chinois, 11,7 % de Vietnamiens et 10 % de Sud-Coréens. Parmi eux, 1 216 sont en attente d’un jugement, principalement pour vols et affaires de drogue. Pas un mot non plus sur le mitard. « Une pièce vide au sol plastifié et aux murs en bois, avec un trou en guise de toilettes », se souvient l’ancien prisonnier.

Lui y a eu droit. « Un jour, je me suis énervé. Je n’en pouvais plus de la solitude. » Il est également impossible de visiter la salle d’exécution des condamnés à mort, où furent pendus, en juillet 2018, des membres de la secte Aum Shinrikyo, dont son gourou, Shoko Asahara. Preuve que la transparence a des limites que les feux de l’affaire Ghosn n’auront pas su dissiper.

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Source : Le Monde.fr

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