Patrick Maurus. Patrick Maurus.

Patrick Maurus, professeur émérite à l’Institut des langues et civilisations orientales (Inalco), est l’un des rares universitaires français à se rendre fréquemment en Corée du Nord, y compris dans des régions reculées. Traducteur d’œuvres coréennes, il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Les Trois Corées, réactualisé en 2023 aux éditions Maisonneuve & Larose/Hémisphères (20 euros, 184 pages).

Comment percevez-vous le rapprochement de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) et de la Russie, qu’a illustré, le 13 septembre, la rencontre entre le dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un, et le président russe, Vladimir Poutine ?

C’est une évolution logique qui découle d’anciennes alliances, de l’existence d’un ennemi commun – les Etats-Unis – et du souvenir de la libération, après la reddition du Japon de 1945, par les troupes soviétiques. Les soldats de Staline, qui occupaient le nord de la péninsule, restèrent trop peu de temps [ils quittèrent le pays un an après la partition, en 1948] pour susciter un rejet de la part des nationalistes coréens.

Aujourd’hui, la Corée du Nord connaît des difficultés. Son économie tourne au ralenti depuis qu’elle a totalement fermé ses frontières pour se prémunir contre la pandémie de Covid-19, et en raison des sanctions internationales. Mais elle dispose de capacités nucléaires et balistiques que le reste du monde est forcé de prendre en compte. Et Pyongyang se considère désormais en position de négocier, sans risque de compromettre l’indépendance et l’autosuffisance qui demeurent les ferments idéologiques du régime. Le pays a besoin du soutien de ses deux grands voisins, la Chine et la Russie, mais il n’est plus dans une position de quémandeur.

Les divisions de la communauté internationale survenues à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine lui sont favorables : Moscou opère un rapprochement avec Pyongyang ; Pékin aussi, emporté dans sa confrontation avec Washington. En Asie du Nord-Est, le renforcement de la coopération militaire entre la Corée du Sud, les Etats-Unis et le Japon, sous la houlette américaine, a eu un effet catalyseur. Dans cette partie du monde, les relations sont régies par le réalisme brutal, plus que par l’idéologie. Ce n’est plus le communisme qui cimente les relations entre Chinois, Nord-Coréens et Russes. Entrent aussi en jeu des liens régionaux : avec les Chinois, le long du fleuve-frontière Yalu, et avec les Russes de la région de Vladivostok, située à proximité de la zone économique spéciale coréenne de Rason. La Sibérie, qui voit ses habitants partir vers l’ouest, est investie par Pyongyang depuis trois décennies. La RPDC y trouve une solide source de revenus grâce aux dizaines de milliers de travailleurs bûcherons qu’elle y envoie. A ces devises étrangères s’ajoutent celles obtenues par les ouvriers envoyés dans des chantiers au Moyen-Orient et en Europe de l’Est – en dépit d’une série de résolutions, adoptées [à partir de 2017] par le Conseil de sécurité des Nations unies, visant à interdire leur présence.

Il vous reste 70.21% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Source : Le Monde.fr

Partagez !

Laisser un commentaire

Patrick Maurus. Patrick Maurus.

Patrick Maurus, professeur émérite à l’Institut des langues et civilisations orientales (Inalco), est l’un des rares universitaires français à se rendre fréquemment en Corée du Nord, y compris dans des régions reculées. Traducteur d’œuvres coréennes, il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Les Trois Corées, réactualisé en 2023 aux éditions Maisonneuve & Larose/Hémisphères (20 euros, 184 pages).

Comment percevez-vous le rapprochement de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) et de la Russie, qu’a illustré, le 13 septembre, la rencontre entre le dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un, et le président russe, Vladimir Poutine ?

C’est une évolution logique qui découle d’anciennes alliances, de l’existence d’un ennemi commun – les Etats-Unis – et du souvenir de la libération, après la reddition du Japon de 1945, par les troupes soviétiques. Les soldats de Staline, qui occupaient le nord de la péninsule, restèrent trop peu de temps [ils quittèrent le pays un an après la partition, en 1948] pour susciter un rejet de la part des nationalistes coréens.

Aujourd’hui, la Corée du Nord connaît des difficultés. Son économie tourne au ralenti depuis qu’elle a totalement fermé ses frontières pour se prémunir contre la pandémie de Covid-19, et en raison des sanctions internationales. Mais elle dispose de capacités nucléaires et balistiques que le reste du monde est forcé de prendre en compte. Et Pyongyang se considère désormais en position de négocier, sans risque de compromettre l’indépendance et l’autosuffisance qui demeurent les ferments idéologiques du régime. Le pays a besoin du soutien de ses deux grands voisins, la Chine et la Russie, mais il n’est plus dans une position de quémandeur.

Les divisions de la communauté internationale survenues à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine lui sont favorables : Moscou opère un rapprochement avec Pyongyang ; Pékin aussi, emporté dans sa confrontation avec Washington. En Asie du Nord-Est, le renforcement de la coopération militaire entre la Corée du Sud, les Etats-Unis et le Japon, sous la houlette américaine, a eu un effet catalyseur. Dans cette partie du monde, les relations sont régies par le réalisme brutal, plus que par l’idéologie. Ce n’est plus le communisme qui cimente les relations entre Chinois, Nord-Coréens et Russes. Entrent aussi en jeu des liens régionaux : avec les Chinois, le long du fleuve-frontière Yalu, et avec les Russes de la région de Vladivostok, située à proximité de la zone économique spéciale coréenne de Rason. La Sibérie, qui voit ses habitants partir vers l’ouest, est investie par Pyongyang depuis trois décennies. La RPDC y trouve une solide source de revenus grâce aux dizaines de milliers de travailleurs bûcherons qu’elle y envoie. A ces devises étrangères s’ajoutent celles obtenues par les ouvriers envoyés dans des chantiers au Moyen-Orient et en Europe de l’Est – en dépit d’une série de résolutions, adoptées [à partir de 2017] par le Conseil de sécurité des Nations unies, visant à interdire leur présence.

Il vous reste 70.21% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Source : Le Monde.fr

Partagez !

Laisser un commentaire