Le 15 septembre 2021, Clément Sans est devenu moine zen, ordonné sous le nom de Tozan (« la montagne des pêches »). Chaque mois, il nous envoie une lettre qui nous fait partager ses réflexions et son quotidien singulier et presque hors du temps. Après deux ans passés au temple Antai-ji, dans les montagnes du nord de l’île Honshu, il rejoint Kyoto, où il intègre un nouveau temple.

Lettre de juillet 2022. Le soleil assomme l’ancienne capitale impériale. La saison des pluies, toujours plus brève et intense d’année en année, est presque déjà terminée. L’humidité donne à la chaleur son caractère étouffant et les habitants de Kyoto se réfugient dès le matin dans les montagnes qui encerclent la ville, cherchant fraîcheur et répit dans l’ombre des cèdres. Le bruit assourdissant des cigales couvre le petit matin, les lucioles strient d’une lumière verte l’air du soir. C’est certain, nous sommes au cœur de l’été japonais.

Depuis mon retour à Kyoto, j’ai dû renouer avec une vie plus turbulente, loin du calme des profondes forêts où j’ai réalisé mon noviciat de moine. Je vis désormais au flanc d’une de ces nombreuses montagnes sacrées qui protègent la ville, dans un petit logement indépendant, et déjà me voilà engagé dans le grand jeu de la société ordinaire. Déclaration de déménagement, assurance santé, impôts, Internet et téléphone… Je n’avais pas utilisé d’argent durant deux longues années, et me voilà à signer des contrats aux noms plus exotiques qu’un mantra bouddhique.

Un zen enraciné dans le réel

Pourquoi est-il nécessaire d’avoir un rayon de supermarché proposant une vingtaine de mayonnaises différentes ? Pourquoi faut-il un smartphone pour ouvrir un compte bancaire ? Je quittais un univers gouverné par le vent et la culture du riz, un monde réglé par la discipline de la méditation et les dévotions au Bouddha, où tout me paraissait simple, logique, élémentaire, pour me retrouver coincé dans ce labyrinthe d’absurdités modernes, comme une sorte de mauvais jeu pris trop au sérieux.

« Le temple, c’est votre vie tout entière »

Et pourtant. Rien de bien différent de mon quotidien au temple. Car qu’ai-je retenu de ces années, plongé dans la discipline monastique, loin du bruit du monde ? Peut-être que la notion même de monde ne fait pas grand sens. Si nous méditons chaque matin et chaque soir, que nous suivons un rythme si calibré et militaire, c’est d’abord parce qu’il n’y a rien à trouver dans notre pratique, rien à comparer, rien à attendre, rien d’autre que la vie ici et maintenant. La routine monastique nous force à revenir vers cette vie, encore et encore, comme une source inépuisable qui jamais ne libère la même eau.

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Source : Le Monde.fr

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