Le porte-parole du gouvernement, Yoshihide Suga, a révélé le 1er avril que l’ère correspondant au règne du nouvel empereur s’appellerait « Reiwa ». Un nom sujet à débats.
Le porte-parole du gouvernement, Yoshihide Suga, a révélé le 1er avril que l’ère correspondant au règne du nouvel empereur s’appellerait « Reiwa ». Un nom sujet à débats. Eugene Hoshiko/AP

Le 1er mai, le Japon est entré dans la première année de l’ère (gengo, en japonais) Reiwa, qui coïncide avec le règne du 126empereur, Naruhito. Et les Japonais vont découvrir peu à peu sur les documents, officiels ou non, ce nom composé de deux idéogrammes évoquant les notions d’« harmonie » et de « paix », et qui remplace Heisei, la « paix en devenir ».

Pourtant, Reiwa, très solennellement annoncé le 1er avril par le porte-parole du gouvernement, Yoshihide Suga, reste sujet à débats ou, à tout le moins, à interrogations. Sur son sens d’abord. Dès son annonce, beaucoup l’ont trouvé froid. « Pour le Japonais moyen, le caractère “rei” évoque immanquablement le mot “reimei”, l’ordre donné », constate Koichi Nakano, politologue à l’université Sophia, à Tokyo. Sur les réseaux sociaux, des internautes notent que le premier caractère, « rei », porte en soi une connotation suggérant un commandement ou un contrôle strict.

Ce sentiment, vite répercuté à l’étranger, a poussé le gouvernement à fournir une interprétation « officielle » : le ministère des affaires étrangères a donc proposé de traduire Reiwa en anglais par « beautiful harmony » (soit « belle harmonie »). « Après avoir entendu parler à l’étranger que le nouveau gengo suggérait l’ordre, nous avons voulu faire savoir que personne ne pense comme ça au gouvernement », a déclaré, au quotidien Japan Times, Hiroatsu Satake, du ministère des affaires étrangères.

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L’idée de l’administration était de coller au plus près à l’explication donnée par le premier ministre, Shinzo Abe. Pour lui, Reiwa suggérait « une culture se créant et s’épanouissant quand les gens rapprochent leurs cœurs et leurs âmes de belle manière ». De fait, le sens de « rei » est multiple. En japonais, il évoque effectivement l’ordre mais aussi l’harmonie. En chinois classique – d’où il vient –, il qualifie la bienveillance et sert à marquer le respect.

La douceur d’un vent printanier

Le gouvernement a-t-il convaincu ? Difficile à dire car, comme le rappelle Koichi Nakano, « il y a beaucoup d’autres caractères pour évoquer la beauté. Mais, dans ce cas précis, on pense à quelque chose d’ordonné. Dans un sens, cette impression colle bien au style de Shinzo Abe », premier ministre connu pour son nationalisme teinté de révisionnisme.

De ce fait, selon certaines sources, le chef du gouvernement aurait tout fait pour avoir un gengo issu de la littérature japonaise, et non chinoise comme c’était le cas des ères précédentes. Reiwa provient d’un poème du Manyoshu – la plus ancienne anthologie de poésie japonaise, qui date du VIIIe siècle. Le nom est inspiré d’un texte du poète Otomo no Tabito, qui utilisait « rei » pour parler du « reigetsu », un « mois propice », en décrivant la douceur d’un vent printanier après un hiver rigoureux.

Depuis 1979, la législation sur le « gengo » stipule qu’un nom doit être écrit avec deux caractères chinois, qu’il doit avoir un sens positif et qu’il doit être facile à lire et à écrire.

Le processus de sélection du nouveau nom s’est déroulé dans le plus grand secret. Un groupe de neuf experts, dont le Prix Nobel de médecine Shinya Yamanaka, la romancière Mariko Hayashi ou encore Itsuro Terada, ancien président de la Cour suprême, a travaillé plusieurs mois sur la question. Il a revu les 247 gengo adoptés depuis le VIIe siècle, selon une tradition chinoise importée au Japon.

Le premier fut « Taika », ce qui signifie « conduire les gens avec grande vertu ». « Depuis ce premier nom, seuls 72 caractères chinois ont été utilisés », rappelle Shigeji Ogura, du Musée national d’histoire japonaise. Certains empereurs choisissaient de changer de nom en cours de règne, notamment après une catastrophe ou lors d’un événement naturel de bon augure. Depuis 1979, la législation sur le gengo stipule qu’un nom doit être écrit avec deux caractères chinois, qu’il doit avoir un sens positif et qu’il doit être facile à lire et à écrire.

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Depuis l’ère Meiji (1868-1912), ce temps correspond au règne du souverain, comme cela se faisait au temps de la dynastie chinoise des Ming (1368-1644). Cette fois, la date de la succession étant connue puisque consécutive à une abdication et non à un décès, les autorités ont eu tout le temps de choisir. Mais, début mars, Reiwa ne figurait toujours pas sur la liste. Apparemment, le porte-parole du gouvernement aurait alors officiellement sollicité d’autres experts de la littérature japonaise, de la littérature chinoise, de l’histoire du Japon et de l’Asie, les chargeant d’élargir l’éventail des propositions.

Au final, le gouvernement a dû trancher parmi six noms, dont Reiwa. Il y avait « Eiko », composé d’un caractère signifiant « beau », « glorieux » et même « fleur » et d’un autre portant le sens de « large » ou « vaste », ce qui aurait donné une ère « vaste gloire ». Il y avait aussi « Banho », soit le caractère voulant dire « 10 000 », mais aussi « grand » ou « complet » et celui de la « préservation » ou de la « sécurité ». D’où une ère de « grande sécurité » ou de « sécurité totale ».

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Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)

Source : Le Monde.fr

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